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Construire la Confiance (suite)

par Dominique Rey
Pourquoi et comment accorde-t-on sa confiance ?

C’est le sujet que j’ai essayé de clarifier quelque peu, dans l’article précédent (publié le 26 mars) :

En observant, pour résumer à l’extrême, que la confiance est la superposition de trois composantes : l’une très subjective (un sentiment, une intuition), l’autre raisonnée (une supposition), et la troisième qui en résulte et qui dispose à agir, à prendre le risque d’être déçu voire trahi (une attitude optimiste).

Et en constatant que les sociétés humaines présentes actuellement autour du globe s’étaient dotées de pratiques facilitant l’établissement entre leurs membres de liens de confiance ; ce qui est bien utile notamment pour des professionnels, qui en ont hautement besoin pour établir entre eux des coopérations efficaces. L’observation de ces dispositions fait apparaître quatre modèles principaux, fort différents : l’un s’appuyant sur le système de règles qui encadre fortement les comportements en Occident, un autre (en Afrique, dans le monde arabe et musulman) misant sur les liens familiaux et claniques, un troisième fondé sur l’appartenance à de multiples cercles (comme en Corée), et un quatrième consistant à nouer des relations choisies, continuellement entretenues par des dons réciproques (typiques de la culture chinoise).

Mais ces mécanismes très utiles s’appliquent à l’intérieur d’une société donnée. Y compris lorsqu’un étranger suffisamment bien (in)formé parvient à en faire jouer les ressorts au profit de sa bonne et prompte intégration dans la société d’accueil.

Bien évidemment, entre personnes issues de sociétés différentes, ces modes codifiés et balisés de construction de la confiance sont a priori désamorcés. Ces professionnels ont pourtant besoin de confiance pour travailler ensemble, situation interculturelle au sens propre et de plus en plus courante. La confiance leur est d’autant plus nécessaire que n’ayant pas la même culture ils doivent s’attendre à quelques incompréhensions, divergences et agacements au fil de leur coopération.

On sait qu’établir une véritable confiance alors qu’on est porteurs de deux cultures différentes n’a rien d’évident – mais que beaucoup y parviennent néanmoins ! Comment font-ils et peut-on s’en inspirer ?

Je n’ai vu jusqu’à maintenant aucune étude sur ce sujet (toutes suggestions sur ce point seront bienvenues !). Les ouvrages de management font grand cas de la confiance, mais sans expliquer comment on la suscite, a fortiori en situation interculturelle. Il serait évidemment très intéressant d’ouvrir cette « boite noire » : de travailler sur des cas concrets pour comprendre quel a été leur processus de mise en confiance et les facteurs qui y ont contribué.

En attendant de disposer d’un tel recueil d’expériences opérationnelles, au moins peut-on formuler quelques conditions de succès : on peut pour cela s’appuyer sur la définition de la confiance rappelée en début de cet article, en se demandant comment activer ses trois composantes, à commencer par l’appréhension “objective“.

Construire la confiance
Construire la confiance
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Objectivement : quelles bonnes raisons de s’engager ?


Prenons l’aspect cognitif : quelles bonnes raisons ai-je (et a-t-il) de faire l’hypothèse qu’il n’y aura pas déception ? Il faudra sans doute que chacun démontre d’abord sa compétence, ou en donne des indices en évoquant des expériences convaincantes.

Que chacun montre aussi qu’on sera capable d’élaborer ensemble, donc d’écouter, de répondre, de proposer des idées, des analyses, des réponses, d’affirmer mais aussi de réserver ou modifier une opinion : de tout cela – qui présage de la capacité de travailler et communiquer ensemble, chacun devrait donner des échantillons et des signes dès les premiers échanges.

Cela suppose aussi de comprendre et faire comprendre les intérêts et les rôles dont chacun a la charge : mentionner ses objectifs, ses contraintes et ses limites - et être très attentif aux échos et réactions à ces énoncés : y aurait-il des dissonances, des contradictions dans nos intérêts ? S’il y en a, est-on capables d’en parler ouvertement et de voir comment les contourner, ou « faire avec » ? Il s’agit bien de vérifier si les intérêts et les rôles sont sinon convergents ou parallèles, du moins compatibles, dans certaines limites, mais aussi que chacun est prêt à jouer cartes sur table, que les positions respectives sont claires et qu’on peut en parler.

À moins bien sûr qu’on soit dans une démarche de ruse, dissimulation ou manipulation, auquel cas la construction de la confiance se joue sur un échiquier très différent de celui d’une coopération confiante que nous cherchons ici à décrire.

Et justement : attention aux (petits) mensonges ! Ils n‘ont pas le même statut selon les sociétés. Même véniel, le mensonge est très mal vu dans l’aire anglo-saxonne et nordique, et ruine la crédibilité de son auteur, donc la confiance. Alors que les sociétés de tradition catholique, dont la française, jugent selon l’enjeu et la “gravité“. Et ne prêtent guère attention aux petits mensonges d’excuse ou de confort. Qui peuvent ainsi ruiner d’un coup la confiance d’un interlocuteur étranger, selon sa culture. D’autres cultures ont des usages et des jugements encore différents : une raison de plus de s’en informer et d’en comprendre les logiques.

Subjectivement : reconnaître l’autre et accepter de se dévoiler un minimum


Comment faire pour établir un sentiment mutuel de sympathie et de proximité humaine ? Du moins peut-on en réunir des conditions favorables. Et d’abord en prêtant attention à la personne pour établir une vraie rencontre : avec une personne et non pas seulement une tâche, un dispositif ou un robot.

C’est pourquoi dans beaucoup de cultures on n’aborde pas une relation d’affaires importante sans avoir pris le temps d’un dialogue de personne à personne, où les enjeux du travail ou de la négociation sont ostensiblement laissés de côté pour parler sur un plan humain et personnel : a-t-on une famille, des enfants, un intérêt pour le football, une perception personnelle du pays. Il s’agit de démontrer que « l’on n’est pas un robot », que l’on existe vraiment ; que l’on n’est pas insensible, mais un être de sentiments et de dignité ; que l’on est curieux de notre prochain, que l’on accepte de prendre le temps de se montrer et de s’ouvrir à l’autre. Qu’on ne le prend pas, lui, comme un objet, mais comme un sujet qui compte, y compris dans sa subjectivité et sa marge de liberté et d’appréciation, choses dont on aura besoin pour faire du bon travail ensemble. Bref, qu’on le respecte.

Il se peut qu’un courant de sympathie réciproque se forme d’emblée, spontanément, sans qu’on puisse dire précisément comment. Parfois du fait d’échos entre les identités, de projections, d’effets de séduction mutuels. Mais plus souvent ce sentiment est le résultat du processus d’échange, qui à partir d’une attention et d’une estime réciproques apporte une sécurité et un confort bienvenus dans l’interaction, voire une complicité à surmonter ensemble leurs différences culturelles d’expression. Le sentiment d’être considéré et reconnu dans ce que l’on est, respecté, pris au sérieux, est un pas essentiel pour mettre chacun à l’aise et dans une certaine sécurité émotionnelle.

Evidemment, l’arrogance, la condescendance, l’impatience, un excès de familiarité ou de distance (délicat cependant à apprécier entre cultures), ou encore le manque d’écoute sont à l’inverse fatals à la sympathie. Mais une attitude de dépendance, où l’un ne sait pas se poser en interlocuteur solide tenant bien son rôle, peut l’être également.

Au demeurant, la relation n‘a pas besoin d’être égalitaire, et le sentiment de confiance peut très bien naitre d’une relation d’autorité, d’un ascendant ou d’un leadership de l’un des acteurs, induisant chez l’autre un sentiment de sécurité et de protection. Mais un manque visible de sincérité, de spontanéité, un discours ambigu ne pourront qu’alimenter le soupçon de duplicité et d’hypocrisie, désamorçant la possibilité d’une bonne perception de l’interlocuteur.

Une attitude positive et ouverte


La troisième composante de la confiance, l’attitude, a quelque chose d’auto-réalisateur, ou du moins qui porte à la réciproque. Dans une situation interculturelle de coopération (comme d’ailleurs de négociation ou commerciale), un enjeu important, à la fois cause et conséquence de l’établissement de la confiance, est la bonne volonté et la capacité de surmonter les différences et difficultés liées aux cultures d’origine des partenaires.

Certains disent que la confiance vient avec l’habitude. Si tant est que ce soit vrai, encore faut-il « amorcer la pompe ».

La meilleure clé pour le faire est une attitude favorisant le traitement en souplesse et en positif des différences, qui va en retour consolider la bonne volonté réciproque et la confiance : d’abord la reconnaissance de l’égale valeur et cohérence de chacune des cultures – inutile de chercher une hiérarchie entre sociétés ! Ensuite ne pas voir ces différences simplement comme des obstacles ou des freins. Car l’observation des autres cultures est doublement instructive : en révélant nos propres évidences et biais ; et en nous ouvrant à d’autres manières de penser et de faire, potentiellement fructueuses, même dans notre système. Et puis une attitude pragmatique, constatant les divergences et la nécessité de s’accorder, de se rendre prévisible et compatible ; de coopérer pour trouver ensemble comment s’ajuster de façon pertinente aux situations.

En bref il s’agit d’une attitude d’ouverture à d’autres manières de faire, de vigilance pour repérer les différences et éviter les erreurs et malentendus, et de recherche conjointe de solutions pour traiter ces différences. C’est évidemment essentiel en contexte interculturel, aussi bien dans un binôme que dans une équipe mixte.

Sans oublier l’importance des feedbacks bienveillants, si possible élogieux sans être outrés et artificiels. Mais là encore, attention à l’ethnocentrisme : les compliments comme les cadeaux ne sont pas perçus de la même manière dans toutes les cultures ; certaines gratifications peuvent mettre dans l’embarras, rendre difficile la réciproque, éveiller les jalousies voire attirer le mauvais œil…

Des processus typiques et des cas concrets !


Voilà pour les conditions générales. Valables aussi en situation d’équipe multiculturelle.

Il faudrait pouvoir aller plus loin, décrire des cas concrets et identifier des processus typiques. De ce que cette analyse de cas de terrain peut apporter, on peut déjà donner quelques exemples :



Je ne voudrais pas clore cet article sans donner des exemples plus spécifiquement culturels de ces processus pratiques. En voici deux :



À partir de témoignages et d’études de cas bien détaillés, on devrait pouvoir découvrir encore bien d’autres processus de construction de la confiance en situations interculturelles. Mettons-les en commun !

[1] Cité dans « Gestion en contexte interculturel » Davel-Dupuis-Chanlat (PUL 2008)

[2] cas développé dans mon livre « Management & Communication Interculturels » (Afnor Éditions, 2017)


Dominique Rey