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La communication militaire : Comparaison entre le Cameroun et les armées occidentales

par Louis Belval
Les objectifs d’une armée qui communique auprès de sa population sont divers, mais comportent tous une même problématique fondamentale : s’assurer que le message passe auprès du plus grand nombre. Il s’agira de favoriser le recrutement, de valoriser son image, de communiquer autour des opérations en cours, de son efficacité, de ses actions menées auprès de sa population... Compte tenu de grand nombre de personnes à qui cette communication s’adresse et de l’inévitable diversité qui le compose, la dimension culturelle des moyens choisis revêt une grande importance : pour toucher le plus grand nombre, il est essentiel de s’appuyer sur des références qui soient le plus communes possibles. Autrement dit, il faut utiliser des références culturelles. C’est ce qui rend cette étude intéressante : la façon dont différentes armées communiquent révèle des différences culturelles marquantes de leurs populations respectives.

Ce qui nous intéressent ici, c’est d’étudier la forme plutôt que le fond. La démarche de cet article consiste à observer comment des particularités culturelles d’une nation influencent sa communication militaire en comparant celle du Cameroun à celle de pays occidentaux : France, Angleterre, Allemagne et USA. Attention, il ne s’agit en aucun cas de faire cette comparaison dans le but de prétendre que l’une serait supérieure à l’autre. Chaque style de communication fait sens au sein de la culture où il est employé.

Des rapports militaires / civils plutôt positifs


Tous ces pays ont un point commun important à noter d’emblée : le rapport entre leurs armées et leurs populations respectives est plutôt positif et il ne constitue donc pas d’obstacle particulier dont il faudrait tenir compte à chaque publication. L’armée camerounaise, en particulier, n’a pas à gérer de passif compliqué. Depuis l’indépendance du pays, elle ne s’est jamais rendue coupable d’exactions massives contre les civils. Même lors de la tentative de coup d’état de 1984, les trois jours d’affrontements violents n’ont opposé que des militaires des deux camps et c’est essentiellement dans leurs rangs qu’on a compté des victimes. Même le conflit actuel avec les séparatistes anglophones n’entache pas la réputation de l’armée camerounaise au point de retourner contre elle sa population.

Sources


Cette étude ne porte que sur la communication par images et est basée sur un échantillon de visuels obtenus début avril 2020 sur les sites Web officiels des armées occidentales et sur des documents publiés par le service officiel de communication de l’armée camerounaise. On admet que ces visuels sont représentatifs des habitudes récentes de communication de chacune de ces armées.

Directives et contrôles


D’après le témoignage du Capitaine Brunetaud de l’EMSOME (État-Major Spécialisé dans l’Outre-Mer et l’Étranger), la communication visuelle de l’armée française est guidée par des directives strictes : le soldat ne peut pas être présenté dans une attitude dévalorisante. Il ne s’agit pas seulement de veiller à l’image de l’armée en général ou du corps auquel il appartient, mais aussi de tenir compte du fait qu’il représente l’État. De plus, l’image doit non seulement véhiculer un message précis en fonction du sujet traité, mais également le message plus général du soldat sportif, guerrier efficace, opérationnel à tout moment, porteur de valeurs et de traditions qui lui procurent une place particulière au-delà du fait qu’il se dévoue à la protection de la nation à laquelle il appartient. Une certaine similarité de style entre les visuels publiés par les armées française, britannique, allemande et américaine semble indiquer qu’elles suivent des directives similaires. De fait, lorsqu’aucun élément ne permet au grand public d’identifier la provenance d’une photo, on peut considérer qu’elle pourrait correspondre, dans une certaine mesure, à n’importe laquelle de ces armées.

De plus, au sein de l’armée française et de l’armée camerounaise, comme probablement dans les autres prises en compte ici, les visuels sont choisis ou réalisés par des responsables de la communication, puis soumis à l’approbation de leurs supérieurs, ce qui en fait des documents particulièrement intéressants sur le plan culturel : leur caractère collectif est garanti par cette chaine de validation, il ne s’agit pas de choix purement individuels.

France
France
Allemagne
Allemagne
Royaume-Uni
Royaume-Uni
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Spécificités camerounaises


Du côté camerounais, on s’intéresse en particulier à des visuels réalisés à la façon de vignettes de bande dessinée. Ils sont publiés sur ses comptes Twitter et Facebook officiels du Ministère de la Défense du Cameroun et utilisés comme illustration dans ses éditoriaux. Ils sont également envoyés par WhatsApp aux numéros intégrés dans la liste de diffusion du Ministère. Il ne faut pas en déduire que l’armée camerounaise se limite à ce style de média, car elle a bien sûr aussi recours à des photos, des vidéos et des radiodiffusions. Le choix d’étudier spécifiquement ces dessins est pertinent dans le sens où ils marquent une différence particulière avec les modes de communication occidentaux.

Décembre 2019
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Janvier 2020
Janvier 2020
Février 2020
Février 2020
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Caractéristiques culturelles qu’on peut observer dans ces visuels


La culture camerounaise se caractérise entre autres par l’allégeance relationnelle, le règne de la précarité et une perception irrationnelle des choses. Les cultures occidentales prises en comparaison ici ont en commun l’allégeance fonctionnelle, le règne de la sécurité et une perception rationnelle des choses. Comme à mon habitude, je rappelle que dans une démarche d’interculturalité, les termes « précarité » et « irrationnel » doivent être détachés de leur caractère péjoratif habituel. Il n’est en aucun cas question de dévaloriser le Cameroun ou son armée.

Précisons aussi que dans sa communication, l’armée camerounaise doit tenir compte d’un paramètre particulier : environ 23% de sa population âgée de plus de 15 ans n’est pas ou peu alphabétisée (Source Banque Mondiale, données de 2018), ce qui représente plus de 3 300 000 personnes auprès de qui elle doit pourtant aussi faire passer ses messages.

Allégeance fonctionnelle ou relationnelle


La communication des armées occidentales présente son personnel sous une approche fonctionnelle : les hommes et les femmes, tout comme les véhicules d’ailleurs, sont souvent présentés en action, y compris les non-combattants. Les visuels mettent en valeur des gestes et des postures maitrisés. Les soldats sont présentés comme des professionnels efficaces et des combattants redoutables.

France
France
Allemagne
Allemagne
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
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La communication militaire camerounaise, elle, est basée sur une approche relationnelle. Elle met en scène des personnages qui dialoguent et s’entraident, avec l’emploi d’un vocabulaire qui marque l’importance du tissu relationnel camerounais : « chef » (au sens du chef traditionnel), « mon frère ». De plus, la plupart des personnages ne sont pas reconnaissables en tant qu’individus, mais seulement en tant que membres d’un groupe (militaires, civils, notables, la seule exception est pour le Chef de l’État). Les soldats sont présentés comme des personnes bienfaisantes et proches de la population.

Décembre 2019
Décembre 2019
Décembre 2019
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Règne de la sécurité ou de la précarité


La communication militaire occidentale s’appuie fortement sur l’héroïsme suggéré de ses hommes et femmes, qui est illustré par plusieurs éléments récurrents dans les visuels :Un sentiment de sécurité est ainsi transmis par la suggestion subtile (car jamais dégradée par la lourdeur d’une verbalisation explicite) de l’héroïsme des soldats et par le sentiment induit de leur invincibilité.

France
France
France
France
France
France
France
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Allemagne
Allemagne
Allemagne
Allemagne
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
France
France
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Allemagne
Allemagne
USA
USA
USA
USA
USA
USA
USA
USA
USA
USA
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La communication de l’armée camerounaise est beaucoup plus explicite sur le thème de l’héroïsme de ses soldats. Il est clairement verbalisé par les titres des visuels, plus encore par les répliques des personnages civils qui voient les actions des hommes en uniforme, et parfois aussi par celles des personnages militaires eux-mêmes. Leur héroïsme ne consiste pas en des accomplissements qui manifesteraient du courage ou de l’expertise, mais en une proximité bienveillante avec la population. On retrouve ici l’idée fondatrice de l’allégeance relationnelle : la sécurité fait défaut et elle est compensée par un tissu relationnel dense et solide où chacun porte et assume la responsabilité de venir en aide à d’autres selon les règles d’une organisation sociale très hiérarchisée. En montrant les soldats au service ou au secours des civils, la communication militaire camerounaise les valorise beaucoup plus que s’ils étaient présentés comme des combattants redoutables.

Janvier 2020
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Janvier 2020
Janvier 2020
Février 2020
Février 2020
Mars 2020
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Le sentiment de précarité se révèle à la fois par les situations qui sont mises en scènes (aide à la construction d’écoles, don de denrées alimentaires, mise à disposition de points d’eau, déploiement de soldats contre un ennemi non nommé et non montré, aide aux personnes fragiles...), mais aussi à travers le fait que la sécurité apportée par l’armée est, d’une certaine façon, évoquée avec beaucoup d’insistance, comme s’il s’agissait de chercher à convaincre la population qu’elle contribue réellement à sa sécurité. Ici, il est important de noter que l’armée n’a pas besoin de rassurer la population quant à ses intentions ou son attitude, elle bénéficie déjà et depuis longtemps d’un crédit de confiance significatif. C’est donc bien sur la question de la sécurité que porte cette insistance.

Décembre 2019
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Décembre 2019
Décembre 2019
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Février 2020
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Perception rationnelle ou irrationnelle des choses


La communication militaire occidentale s’inscrit dans une démarche rationnelle, qui se traduit d’abord par des visuels uniquement basés sur des photos de haute qualité, bien cadrées, bien mises en page dans les sites Web, qui valorisent les soldats et leurs actions. Un défaut de qualité serait directement nuisible pour son image. Cette démarche rationnelle se constate aussi à travers la mise en scène de la précision. On détecte un fort souci du détail (uniformes et tenues de combat, armes, équipements, munitions, douilles qui sautent, camouflage, insignes...). On constate également la présence récurrente d’une lunette sur les armes, souvent accentuée par le soldat qui regarde à travers. Cette insistance sur la précision rejoint l’évocation de la maitrise des gestes et des situations et renforce encore ainsi le sentiment de sécurité.

Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
Royaume-Uni
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Allemagne
Allemagne
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Du côté camerounais, L’usage de dessins dans la communication de l’armée camerounaise rappelle la perception irrationnelle des choses qui caractérise sa culture. En particulier, ce sont des dessins au trait approximatif, qui évoquent ceux d’un enfant, avec peu de détails, des écarts de proportion parfois un peu forts, des ombres portées souvent absentes et un désintérêt évident pour le réalisme graphique. Cette approximation se retrouve aussi dans les textes, avec parfois des fautes d’orthographes, un non-respect des règles typographiques et une certaine hétérogénéité au niveau de la mise en forme des caractères. On notera aussi parfois, dans un coin du dessin, la photo d’un véhicule en miniature. Non seulement cet élément parait superflu car il n’apporte rien au message à faire passer, mais il parait aussi en décalage du point de vue du style graphique. Cette approximation se retrouve encore dans le fait que lorsque ces dessins sont employés comme illustration dans des éditoriaux, ils sont souvent déformés par la mise en page. D’autre part, cette communication s’écarte régulièrement des thèmes militaires : fêtes, élections, valorisation du Chef de l’État, St Valentin... Cette diversité ajoutée à l’imprécision des dessins et des textes cultive un sentiment de précarité en inscrivant cette communication dans une ambiance générale où l’à peu près apparait comme une norme.

Janvier 2020
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Février 2020
Février 2020
Janvier 2020
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D’un point de vue occidental, on pourrait être tenté de croire que ce style de communication n’est pas approprié pour une armée. On pourrait même trouver ça ridicule, taxer l’ensemble de manque de professionnalisme et céder à une tentation générale de mépris.

Au contraire, ces visuels sont très pertinents, car ils prennent en compte ce qui échappe à l’observateur occidental non averti : la population camerounaise attache aux relations une importance qui dépasse tout le reste et porte sur toute chose une perception irrationnelle. L’à peu près que j’évoquai à l’instant fait effectivement partie des normes de son quotidien et en cela, il ne revêt pas le caractère anxiogène que ressentent certains expatriés occidentaux sur place. La population camerounaise se trouve bien plus à l’aise dans une certaine approximation que dans une rigueur qui lui donnerait un sentiment d’étroitesse et de rigidité. N’oublions pas la problématique de départ : il s’agit que le message passe. De ce point de vue, entre cette armée et sa population, ce style de communication est tout à fait pertinent.


Louis Belval